La parution d'un nouvel album de Daniel Clowes est toujours un événement pour moi, puisque je suis la carrière du monsieur depuis ses débuts hexagonaux - et la publication de ce qui est pour moi son chef d'œuvre : "Comme un gant de velours pris dans la fonte" - en 1999 ! Hé oui, je peux donc faire mon vieux con en disant que je n'avais pas été emballé par "Wilson" sorti en 2010 et un peu déçu par "Mister Wonderful" en 2011.
Depuis, rien de nouveau, jusqu'à la sortie de ce "Patience" - titre à double sens pour expliquer ces 6 années de silence ? - qui a été encensé par la critique. Chose qui me faisait craindre le pire pour le présent album. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai pris mon temps avant de me lancer dedans, histoire d'avoir les idées vraiment claires.
Et résultat : une grosse beigne dans la ganache ! Il s'agit ni plus ni moins que de l'une des meilleures bande dessinée qu'il m'ait été donné de lire depuis maintenant 5 ans que je tiens ce blog.
Jack et Patience sont un jeune couple à qui l'avenir semble promis : ils s'aiment et vont bientôt être parents. La vie de Jack va basculer le jour où, en rentrant de son travail, il découvre le corps sans vie de Patience. La police bâcle l'enquête et inculpe Jack - qui bien que clamant son innocence - se retrouve pour un temps derrière les barreaux. Le véritable coupable, quant à lui court toujours et - beaucoup plus grave - la justice n'a aucune piste.
Nous retrouvons Jack une vingtaine d'années plus tard, grisonnant et surtout toujours marqué par cette épreuve. En apprenant l'existence d'une "machine à remonter le temps", il va se mettre en quête de son inventeur et essayer de le convaincre de lui laisser l'utiliser. Il espère ainsi remonter le temps pour découvrir le coupable et l'empêcher de nuire, quitte à dépasser les bornes...
Le récit semble - d'un premier abord - ne pas être d'une grande originalité : les voyages dans le temps étant un thème battu et rebattu dans tous les média. Pourtant - et c'est là la force de Daniel Clowes - nous avons affaire à une histoire qui en plus d'être vraiment inventive, est parfaitement maîtrisée de bout en bout.
Que ce soit dans le procédé du voyage lui-même : ici point de machine à proprement parlé, mais une substance étrange couplée à un petit appareil, ou encore dans les conséquences de celui-ci. En effet, l'auteur est bien conscient que les voyages dans le passé provoquent immanquablement des paradoxes temporels et modifient le futur. Il fait donc bien attention de ne laisser aucun point en suspens. À la fin du récit, toutes les boucles temporelles sont bouclées. Même si cela ne semble pas être le but premier de l'auteur.
En effet, on se rend assez vite compte que le voyage dans le temps n'est qu'un prétexte pour parler du passé, du présent, de la solitude, des rapports humains et surtout de ces instants très courts qui font basculer des vies. Ce qui, de la part de Clowes, n'est pas franchement une surprise, tant il a déjà abordé ces thèmes dans des œuvres précédentes.
Pour preuve, le futur présenté ici n'est pas extraordinaire : on continue de boire dans des bars, de conduire des voitures et de se sentir seul. Aucune trace de futur merveilleux des histoires de science-fiction des années 50 ou de dystopie des années 90. Ici, rien d'autre qu'un futur quasiment banal en fin de compte.
L'intérêt du récit est vraiment à chercher dans l'introspection constante de Jack, qui ressasse sans cesse ce "et si", ce moment où tout son monde a basculé et qu'il cherche par tous les moyens à faire disparaître pour que la vie qu'il a rêver puisse devenir enfin réalité.
Au niveau des dessins, Daniel Clowes est là aussi au top de sa forme. On sent que l'auteur a trouvé sa propre grammaire graphique et qu'il s'en sert parfaitement : on a affaire à un trait à la fois moderne et classique, clair, lisible et fouillé. Un dessin de Clowes ne peut être confondu avec un autre désormais : il est reconnaissable dès le premier coup d’œil, et mine de rien, ceci n'est pas donné à beaucoup d'artistes...
La mise en page assez classique à base de cases plus ou moins nombreuses vole parfois en éclat, comme pour mieux souligner les moments clés de la quête de Jack : on alors droit à des doubles pages ou des splash pages (pages pleines) de toute beauté.
J'ai au début eu un peu de mal avec les couleurs que je trouvais soit trop franches soit pas assez et tout en aplat, avec seulement quelques rayures pour mettre un peu de relief. Puis, au fur et à mesure de la lecture, je me suis rendu compte que ce parti pris était le bon, car il permettait de se rendre compte que finalement, quelque soit l'époque, c'est toujours la même chose.
En refermant cette bande dessinée, je me suis vraiment dit que j'avais pris une claque à tous les niveaux ; récit, dessin, mise en scène, thèmes... tout est de très haute volée. Patience est un livre rare et précieux qui appelle à être lu et relu - ce que je ferai sans problème - afin de pouvoir goûter tout le génie (n'ayons pas peur des mots) de Daniel Clowes. Du très grand art !
Note : 18,5
Patience de Daniel Clowes
Cornélius / 2016
ISBN : 978-2360811267
180 p. / 30,50€
Cornélius / 2016
ISBN : 978-2360811267
180 p. / 30,50€
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