lundi 27 novembre 2017

Histoires Improbables de Steve Ditko

Décidément, 2017 aura été l'année de Neofelis. Après l'intégrale déjà culte de "Hawks of the Seas" de Will Eisner et le numéro 2 de Comics Signature, l'éditeur marseillais nous offre "Histoires Improbables" un recueil de courtes histoires fantastiques et gentiment horrifiques (CCA oblige) signées Steve Ditko - le cocréateur de Spider-Man et Dr Strange. Les quarante récits présentés ici ont tous été produits entre 1957 et 1958, alors que l'auteur travaillait pour Charlton Comics et sont donc antérieurs à sa collaboration avec la "Maison des Idées".

Comme d'habitude avec ce genre de recueil, je ne vais ni résumer ni donner mon avis sur toutes les histoires, mais seulement sur certaines qui - à mon avis - sortent du lot.

- La menace des feuilles d'érables ("The menace of the mapple leaves"): Dans une région forestière, un petit groupe d'arbres est épargné par la hache et la tronçonneuse des bûcherons, car on le considère comme hanté car une sorcière, il y a deux cents de cela, y a trouvé refuge. Depuis les érables se défendent contre leurs agresseurs. Pour Mike Stone, entrepreneur qui vient d'acquérir des terres, dont celles abritant le bosquet maudit, cela n'est qu'une histoire à dormir debout. À moins que...

- Quand le vieux doc est mort ! ("When old doc died") : Charles Cooper est un vieux docteur qui ne vit que pour son métier. Il ne ménage pas sa peine pour sauver ses concitoyens, au point de négliger son bien-être. Finalement, un jour, épuisé par son travail, il meure. Il se retrouve au Paradis en récompense du bien qu'il a fait sur Terre. Seulement voilà, au Paradis, tout le monde est bien portant, ce qui est très ennuyant pour le doc...

- Monsieur Toolmond ("Mister Evriman") : Alors que les gens se détournent petit à petit des jeux télévisés qu'ils jugent trop élitistes pour eux, un nouveau candidat apparaît : Monsieur Toolmond. Celui-ci bizarrement, semble faire l'unanimité auprès de tous les téléspectateurs qui se trouvent avec lui toutes sortes de points communs. Jack Hoyt qui sonde les gens pour le compte de chaines de télévision trouve ce dernier point très étrange et décide donc d'enquêter...

- Le vieux fou ("The old fool") : En Grèce, le petit village de Derniani abrite un bien étrange personnage que tout le monde surnomme le vieux fou. Tous les matins, ce vieil aveugle s'en va dans les montagnes avoisinantes et ne reparaît que le soir, quand la nuit se met à tomber. Personne ne sait ce qu'il fait de ses journées, et le village est divisé en deux camps qui ne sont pas d'accord sur l'attitude à avoir avec le vieux fou : les uns trouvent qu'il ne fait de mal à personne, les autres veulent s'en débarrasser car il ne sert à rien. Ces derniers ont sans doute tort...

- Plus jamais ("Never again") : Après qu'une guerre nucléaire ait éclatée, l'humanité a été contrainte de se réfugier sous terre pour survivre. Petit à petit - faute de combattants - la guerre a cessé à la surface et les humains ont pu ressortir de leurs trous, découvrant la Terre ravagée. Pour pouvoir survivre dans ces nouvelles conditions, les survivants vont s'adapter en régressant jusqu'au stade de l'homme préhistorique. Finalement, un jour, le dernier survivant s'éteint et dans son dernier souffle souhaite que la folie qui a entrainé la déchéance de l'espèce humaine ne reproduise plus jamais...

De ces quarante histoires se détachent quelques récurrences comme le fait que bien mal acquis ne profite jamais ("Pedro et El Padre",  "Les choses en colère"), les artefacts de chance ou de malheur ("Une petite fille perdue",  "Le porte bonheur", "Poupée vivante", "Et la peur grandit"), la télévision ("Monsieur Toolmond", "Le réparateur venu de nulle part", "Impossible, mais...") ou encore les voyages dans le temps ("La pièce cachée",  "Le naufragé d'un autre temps", "L'homme du temps"). Pourtant, malgré cela, il n'y a aucune redite et l'on prend vraiment plaisir à lire ces courts récits, comme autant de très bonnes vieilles nouvelles fantastiques.

On peut noter également quelques histoires qui sont soit des clins d’œil très appuyés à des classiques du fantastique, comme "L'homme qui a disparu" dont la trame est identique à celle du roman de Richard Matheson "L'homme qui rétrécit", au détail près que le protagoniste de l'histoire de Steve Ditko est conscient qu'il existe un monde plus petit que l'infiniment petit, au contraire de celui de Matheson. Ou encore "La pièce interdite" avec ses meubles qui vieillissent à la place du propriétaire qui nous rappelle Dorian Gray et son portrait. Quoi qu'il en soit, ces histoires, même si elles ne présentent pas une trame ou une idée nouvelle, n'en sont pas moins intéressantes de par le traitement effectué par Steve Ditko et par leur côté très concis qui fait aller à l'essentiel.

Il faut d'ailleurs souligner le fait que Steve Ditko est vraiment un maître du récit court. Dans ce recueil, il est très rare de réellement rester sur sa faim après avoir fini de lire une histoire, tant l'auteur a su mener sa barque du début à la fin. On sent qu'il a su ne garder que l'essence de ses histoires - qu'il aurait pu développer pour certaines sur des dizaines de pages - et ainsi nous offrir quelque chose de dense qui ne laisse que très peu de temps morts. Les histoires sont menées tambour battant mais bien développées pour offrir dans la majorité des cas une chute des plus réussies - même si parfois un peu convenue.

Pour ce qui est du dessin, il n'y a pas de doute, nous sommes bien en présence d’œuvres de Steve Ditko. Nous retrouvons ce style de personnages longiligne aux traits du visage anguleux qui est presque une marque de fabrique chez lui. On assiste même a la naissance de prototypes de certains personnages qui feront sa renommée lorsqu'il passera chez Marvel. À titre d'exemples les plus flagrants, je citerai le personnage de Mary dans "La pièce cachée" (The secret room) qui fait furieusement penser physiquement à la Tante May de Peter Parker, ou encore le Dr Haunt qui n'est pas sans rappeler le Dr Strange.
Il est donc juste de dire que ceux qui - comme moi - sont fans du trait de l'artiste seront ici aux anges. Les autres, malheureusement ne verront que ce qu'ils considèrent déjà comme des défauts - et qui pour moi sont l'essence même du dessin de Steve Ditko.

Il en ressort donc de ce recueil, malgré l'hétérogénéité des thèmes abordés, une vraie unité. Il n'y a pas de réelles histoires faibles - de mon point de vue - qui aurait pu le plomber. Et cela est à souligner dans la mesure où dans ce genre de livres on trouve souvent à boire et à manger. Certes, certaines histoires ont un peu plus mal vieillies que d'autres et peuvent paraître un peu désuètes au lecteur d'aujourd'hui, mais le vrai amateur de comics vintage y trouvera ici son bonheur. Le charme suranné de quelques récits et surtout la qualité de narration de Steve Ditko sur l'ensemble de ces quarante histoires vaut vraiment le détour.

En conclusion, je peux dire qu'une fois encore Neofelis a réalisé un superbe travail avec ces "Histoires improbables" (à souligner le (très) bon travail de traduction de Tristan Lapoussière). Il est vrai que le matériel de départ sentait bon (la V.O. est sorti chez Fantagraphics qui n'a pas l'habitude de publier des bouses) mais il y a quand même un réel risque de sortir ce genre d'ouvrage dans nos contrées. Pour ma part, je vous recommande chaudement cet ouvrage - ainsi que tout le catalogue Neofelis par la même occasion - et j'attends avec impatience la suite !

Note : 17/20


Histoires Improbables de Steve Ditko
Neofelis Éditions / Culture Comics / 2017
ISBN : 979-10-90314-11-5
224 p. / 35€

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