Après la lecture de Watchmen, qui est vraiment un monument de la bande-dessinée, j'ai eu envie de vous faire partager une nouvelle écrite il y a une dizaine d'années, bien avant que je n'ai eu vent de l'existence de Watchmen. Malgré cela, j'ai trouvé certaines similitudes (même si je ne me compare en aucun cas à Alan Moore), et j'ai trouvé amusant de vous en faire profiter. J'inaugure donc, par la même occasion, une nouvelle catégorie de post : les nouvelles (au sens littéraire du terme). N'hésitez surtout pas à me faire remonter vos impressions et les fôtes d'orthogarphe encore présentes ! Bonne lecture !
Une super histoire
Peu de gens le savent, mais le premier superhéros que la Terre ait jamais connu était
originaire de ce pays. Il se faisait appelé Monsieur
Extraordinaire et sa véritable identité a été un secret jusqu’à sa mort
récente, d’un cancer du pancréas, oublié de tous dans un foyer de SDF.
Peu de gens le savent, mais ce fût lui qui introduisit
les éléments de base de la combinaison de super héros, à savoir le slip
au-dessus du collant et la cape rouge qui permettait – selon les dires des
enfants – de voler de plus vite qu’avec une cape bleue.
Mais peu de gens savent également, que ce fût lui qui
abandonna ces deux signes distinctifs le premier. En ce qui concerne le slip,
suite à la mort d’un jeune enfant empalé sur
une grille de square, dans laquelle la dite culotte s’était prise. Pour
ce qui est de la cape, après avoir failli se rompre le cou en accrochant
celle-ci dans une poignée de porte alors qu’il poursuivait des malfrats.
Ses suiveurs mirent un peu plus de temps à se rendre
compte de tous ces inconvénients. Le prestige de l’uniforme étant plus
important que tout. Malgré les risques de pendaison involontaires en sautant du
deuxième étage d’un immeuble pour atterrir sur le dos d’un brigand ou sur un
tas de poubelles. Malgré les tonnes de linge sale que cela entrainait, car même
si vous êtes doté de super pouvoirs, ceux-ci ne peuvent rien contre la crasse
et les mauvaises odeurs – à part peut-être ceux de Blanc de Blanc, mais cela est une autre histoire.
Après ces quelques lignes d’introduction et avant de
rentrer dans le vif du sujet, je tiens à me présenter. Mon nom est Léopharus
Marstingault. Et j’ai été – ou plutôt je suis encore, bien qu’à la retraite –
moi aussi un super héros. Mon nom de scène était le Buvard – et cela n’a rien à voir avec un quelconque problème de
boisson.
Un jour, il n’y avait pas de super héros, et le
lendemain, il y en avait partout. Une génération spontanée d’êtres dotés de
pouvoirs incroyables était née. Je me souviens qu’on ne pouvait plus toucher de
pierre, d’arbre, se faire mordre ou piquer par le moindre insecte ou
animal sans en récupérer les pouvoirs. Les premiers touchés le furent à cause de leur
travail ou de leurs études : Monsieur
Extraordinaire, simple gars de la campagne débarqué en ville depuis peu,
accepta un job mal payé dans une centrale nucléaire et fût exposé aux
radiations. Le Rat Blanc fût mordu
par un de ses animaux de laboratoire, et votre serviteur, simple gratte papier
sans grade dans une bibliothèque de quartier, se coupa le doigt avec une feuille
de papier buvard radioactive.
Je ne fis pas partie de la première vague de superhéros,
mais plutôt de la seconde, d’où mes pouvoirs un peu en dessous de la moyenne.
Il en va des super pouvoirs comme des places au stade, les plus intéressants
partent en premier, et ensuite, il ne reste, hé bien que les restes.
Bien entendu, plusieurs superhéros se retrouvaient
avec les mêmes pouvoirs, il leur fallait donc trouver un autre nom, original,
mais assez facilement identifiable par le commun des mortels. Par exemple, pour
ceux piqués par une araignée, on eut donc droit à : l’Araignée (le premier), suivit de la Mygale ,
de la Tarentule , puis, suite au décès de l’Araignée originelle dans un banal
accident de la circulation (refus de priorité), la
Nouvelle Araignée.
Quand le catalogue des différents arachnéens fût utilisé en entier, les
nouveaux rajoutèrent des couleurs ou des adjectifs. Inutile de vous dire que
les voleurs n’étaient pas trop apeurés quand ils se retrouvaient en face de la Mygale Violette ou de l’Araignée Intrépide. Mais cela est une
autre histoire, et vu mon nom, je suis assez mal placé pour juger.
Les premiers super héros, suivant l’exemple de Monsieur Extraordinaire, mirent leurs
dons au service de la communauté pour faire le bien et stopper la montée
grandissante de l’insécurité, liée à la crise économique. Ils ne demandaient
pas grand-chose, juste un petit article de temps en temps dans le canard local,
une photo d’eux serrant la paluche du maire et une médaille honorifique.
C’était tout et c’était le bon temps. Je crois vraiment que nous avons aidé les
gens à se sentir mieux.
Le problème, c’est qu’au fur et à mesure de la
prolifération des super héros, il y a eu celle, symétrique, des super vilains.
Bien entendu, si on était mauvais à la base, se faire piquer par une abeille ne
vous transformait pas en pourfendeur du crime, au contraire. Vous voyiez tout
de suite quels bénéfices tirer d’une telle situation, et vous vous faisiez appeler
le Dard Maléfique ou une connerie
dans le genre.
Cela c’est vraiment gâté quand les combats entre bons
et mauvais prirent des proportions gigantesques.
Au début, le super héros castagnait un simple braqueur
d’épicerie. Un uppercut, un doigt brisé et cela suffisait à l’arrêter. On
déplorait tout au plus une cagette de tomates écrasées, et dans le pire des cas,
une vitrine en miettes. Pas de quoi fouetter un chat. On faisait jouer
l’assurance, le petit commerçant transformait sa boutique en musée du souvenir,
les badauds accouraient et tout le monde était content.
Ensuite, quand le Docteur
Explosion se frittait avec le Bulbe
Atomique, on ne parlait plus d’une douzaine de fruits perdus. Il était
question d’un quartier entier de la ville, de façades d’immeubles à ravaler,
voire à reconstruire, de châteaux d’eau écroulés, de ponts détruits etc. etc.
Les simples gens subirent de plein fouet l’arrivée et
la vie des super héros : les primes d’assurances explosaient, les impôts
locaux itou. La grogne monta rapidement au sein de la population. Et tout ça
pour quoi ? Pour que quelques gugusses en collants moulants se foutent sur
la tronche et fassent plus de dégâts que s’ils s’étaient laissé vivre chacun
dans leur coin.
Le Spectre du
Soleil voulait dévaliser la Banque Centrale ? La belle
affaire. Il pouvait tout au plus espérer en retirer 150 millions. Avec ceux-ci
il aurait acheté une île du Pacifique (si possible sans lépreux) et aurait
coulé une belle vie sans faire chier personne. Au lieu de cela, ce jour-là, Monsieur Extraordinaire allait justement
retirer un peu d’argent de son compte épargne. Quand il vit ce qui se passait,
il fila dans une cabine téléphonique du coin de la rue et engagea la bataille
qui coûta un peu plus 350 millions à la municipalité et entraîna la destruction
de la Banque Centrale ,
qui ne se releva jamais réellement de cet événement.
D’autres flairèrent le bon plan et mirent leurs supers
pouvoirs au service de leur porte monnaie et lancèrent une société de BTP. Ce
fut notamment le cas de l’Emplâtreur,
de Doc Béton et de Super Maçon, qui proposaient un
package : réparer les dégâts après avoir coffré le supervilain. A partir
de là, l’esprit héroïque et chevaleresque des débuts fit place au règne de
l’argent roi. Tout était bon pour « monétariser » son nom. Des
poupées, des émissions radio et télé, des galas, et même pour les gagne-petit
des animations en maison de retraite ou dans des supermarchés (concept lancé
par Super Epicier). Certains se
lancèrent même dans la prostitution (ce fût le cas du Dandy Chromé, à voile et à vapeur, ou de la Danseuse Etoile ).
Les gouvernements essayèrent – et réussirent dans
certains cas – de débaucher les meilleurs éléments pour leur faire intégrer
leurs armées. Je pense que la planète a dû trembler quelques secondes après que
notre pays eût dévoilé au monde entier l’existence de Monsieur Extraordinaire. Les uns pensant à la domination unique
d’une nation grâce à cette arme de nouvelle génération, les autres à
l’anéantissement du monde car même si Monsieur
Extraordinaire pouvait tout faire, il ne serait jamais assez fort pour
stopper des vagues et des vagues d’ogives nucléaires venant de toutes parts si
les pays n’étaient pas d’accord avec l’hégémonisme de notre chère nation.
Seulement voilà, environ une heure après l’allocution
de notre président, les américains répliquèrent en présentant Mister Amazing. Doté des mêmes pouvoirs
et d’un costume quasiment identique (à part les couleurs) que notre héros
national. Puis, dans les jours qui suivirent, tous les pays, même les plus
petits, en firent de même. Et cela ne s’arrêta pas aux pays. Il y en eu également
pour des régions qui voulaient leur indépendance (Super Euskaldunak, ou la
Bigouden Masquée ),
ou même pour des villes ou des quartiers.
L’arrivée sur le marché des superhéros ne changea donc
guère l’équilibre des forces en présence. Ils n’étaient qu’une arme parmi
d’autres. Il fût question à un moment donné de créer un nouveau corps d’armée exclusivement réservée aux superhéros, mais l’idée mourût dans l’œuf,
même si elle fit quelques réapparitions jusqu’au référendum.
Au bout de 25 ans de vie publique des superhéros
(avec leurs naissances, leurs mariages, leurs décès et surtout leurs dégâts et
leurs coûts), les gens en eurent assez. Sous la menace d’une grève de la police
(devenu quasiment inutile, si ce n’était pour régler la circulation ou mettre
des PV) et d’un coup d’état de l’armée (qui ne voulait pas être sous les ordres
d’un superhéros en cas de conflit), le gouvernement, qui craignait depuis un
certain temps une révolution à ce sujet, écouta la rue et proposa un référendum
sur la question des super héros.
Fallait-il les rendre hors-la-loi ou bien conserver le
statu quo ?
A plus de 84% (84,28% pour être exact), le peuple se
prononça pour la mise hors-la-loi. En échange de l’abandon des charges qui
pesaient sur eux (suite aux dégâts causés, ou aux plaintes des bandits arrêtés
et molestés), la plupart de mes confrères et consœurs acceptèrent de se retirer,
voire de se démasquer. Pour d’autres, il fallut leur verser une prime, ou une
pension de retraite. Le seul réel problème qui se posa, ce fût pour Monsieur Extraordinaire.
Le gouvernement ne pouvant pas se passer de lui en matière
de sécurité intérieur ou extérieur, il fût autorisé à conserver son identité
secrète et à travailler en tant qu’agent spécial, le temps que tous les supervilains
soient mis hors service (d’une manière ou d’une autre). Puis, devenu inutile,
il fût lâché par les dirigeants avec pour seule récompense une poignée de main
et une pension de retraite ridicule qui servait à peine à couvrir sa
consommation de gros rouge (avec une préférence pour celui du Père La Casquette , un ex compagnon de combat).
Pour ma part, j’acceptais de me retirer (et de me
démasquer) en échange d’un petit chèque et de l’annulation de la plainte pour
viol (imaginaire) de l'ex super héroïne la Danseuse Etoile .
Depuis maintenant 30 ans, je vis tranquillement dans
la maison achetée avec l’argent du gouvernement. J’ai continué à mettre mes
dons surnaturels au service des gens, mais plus en cassant de la mauvaise
graine. J’ai créé une société qui intervient en cas de fortes pluies ou de crue et pour assécher
des marais et je vis plutôt bien.
Malheureusement, les radiations présentes dans mon
corps depuis de si longues années sont en train d’avoir raison de moi. Je sais
que bientôt il me faudra affronter pour la dernière fois de ma carrière un
gugusse costumé, tout de noir vêtu et armé d’une faux. Et contre lui, les
supers pouvoirs du Buvard, ne
pourront rien…
(15/03/2003)
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