C'est avec une grande tristesse que je vais faire la chronique de cette oeuvre monumentale (près de 900 pages !) puisque Yoshihiro Tatsumi vient de nous quitter ce weekend. Décidément, 2015 est une sale année pour les dessinateurs de BD (puisque nous venons de perdre il y a quelques semaines, Jacques Kamb, le père de Dicentim, sans parler de la tragédie du début d'année).
Cela faisait un petit moment que je voulais lire cette histoire, vu comment "L'enfer", m'avait enthousiasmé. De plus, j'ai toujours beaucoup aimé les biographies dessinées et surtout voir l'envers du décor de ce médium que j'aime tant. Enfin, encore une fois, le travail magistral des Éditions Cornélius fait que l'on ne peut qu'avoir envie d'ouvrir ces livres !
"Une vie dans les marges" est la dernière œuvre de Tatsumi. Il y raconte sa vie (même si pour cela il utilise un je est un autre du nom de Hiroshi), depuis son enfance à Osaka où il rêve déjà de devenir mangaka - comme son idole Osamu Tezuka - jusqu'aux année 2000 où on le verra enterré quelques uns de ses compagnons de route. Entre les deux, toute une vie passé dans les marges et en marge.
Dans les marges, car Tatsumi depuis toujours, sait qu'il veut devenir dessinateur et donc a passé son enfance à noircir des pages et des pages. En marge aussi, car bien que mangaka, il sait très vite qu'il veut faire être chose, un autre manga. Qu'il y a un avenir plus "adulte" à la bande dessinée, et que pour cela il devra sortir des sentiers battus pour parvenir à ses fins.
L'histoire commence en 1945 quand Hiroshi, le double de papier de Tatsumi, a 10 ans. Durant son enfance, il devra faire face à plusieurs difficultés : le Japon d'après-guerre peine à se reconstruire et la famille de Hiroshi a pas mal de problèmes. Son père se fait avoir par un associé sans scrupule et se retrouve criblé de dettes. Le grand frère de Hiroshi est malade et fait de fréquentes crises de colère, surtout qu'il veut lui aussi devenir mangaka et est assez jaloux du talent de son frère. Enfin, une fois qu'il aura percé et se sera fait un nom, il découvrira la concurrence entre les dessinateurs et surtout entre les petits éditeurs qui naissent et disparaissent tout aussi vite, et ne tiennent pas toujours leurs promesses...
Sentant rapidement qu'il peut faire quelque chose de différent, Hiroshi créé le terme gekiga, qui se veut être la version plus adulte du manga, aussi bien dans le fond que dans la forme. Pour réussir cela, il décide de monter un "atelier" avec plusieurs de ses condisciples. Le succès de revues alimentées par leurs travaux sera au rendez-vous, notamment Kage, qui deviendra la référence pendant un petit temps.
Les années passent et Hiroshi est devenu une valeur sûre de l'édition. Malgré cela, il continue à se poser des questions sur son métier et surtout sur son œuvre. Éternellement insatisfait ou plutôt souhaitant toujours aller plus loin, tant sur le fond que sur la forme dans son art, il n'arrête jamais de se remettre en question. Quoiqu'il en soit, il aura au moins réussi à devenir l'égal de son idole : Osamu Tezuka.
Ce qui est formidable avec ce diptyque, c'est qu'il pourra aussi bien intéressé les mordus de manga et de gekiga, que les lecteurs qui n'y connaissent pas grand chose. Tatsumi raconte, en effet, à travers son histoire, l'histoire de toute une époque de la fin des années 40 au début des années 70 au Japon. Il y parle du climat social, au travers de sa famille, puis de sa situation personnelle. Il s'agit aussi d'un témoignage incroyable en ce qui concerne le milieu éditorial japonais de cette époque.
Comme je l'espérais après la lecture de "Gekiga Fanatics" de Masahiko Matsumoto, qui m'avait un peu déçu, "Une vie dans les marges raconte réellement la naissance du gekiga, dans le sens chronologique et surtout plus poussé (ce qui est normal vu la taille de ce diptyque). Mais cela m'a aussi permis de trouver plus de sens à "Gekiga Fanatics". En effet, les deux œuvres se font souvent écho sur certains personnages ou certains événements et permet d'appréhender ceux-ci de deux points de vue différents, ce qui est très intéressants.
On peut voir aussi que tout en étant très reconnu et estimé par ses pairs et surtout par ses éditeurs, Tatsumi admirait et jalousait en même temps ses condisciples Masahiko Matusmoto et Takao Saito. Cette admiration / jalousie lui a permis de toujours essayé d'aller plus loin et de tenter des choses qui parfois s'avéraient être en avance sur son temps. Cela montre aussi son humilité, car il ne s'est jamais reposé sur ses lauriers.
Je viens de m'apercevoir, que cette œuvre était tellement riche, que je n'ai même pas évoqué les dessins de Tatsumi ! Il est vrai que "Une vie dans les marges" est tellement touffue, tout en étant fluide, que je me suis plus attaché à l'histoire qu'aux dessins. Il en est ainsi des œuvres de cette envergure, comme "Persépolis" de Marjane Satrapi ou de la "Vie de Mizuki", où les dessins servent l'histoire sans prendre le pas dessus. Mais si on se penche sur ceux-ci, on s’aperçoit qu'ils sont efficaces, clairs et très agréables à regarder. Ce qui marque surtout, c'est le découpage, qui atteint vraiment des sommets, si bien que certaines planches où il n'y a aucun dialogues racontent plus que d'autres qui en contiennent.
Je ne saurais donc que trop vous conseiller la lecture de ce chef d’œuvre (il n'y a pas d'autre mot) du manga et de la bande dessinée en général.
Note : 17/20
Une vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi
Tome 1 :
Cornélius / Pierre / 2011
ISBN : 978-2360810086
452 p. / 33,50€
Tome 2 :
Cornélius / Pierre / 2011
ISBN : 978-2360810192
432 p. / 33,50€
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