mardi 27 juin 2017

Atroce ! de Caritte, Rifo, Mr Pek & alii

J'avais envie de parler de cette bd depuis un petit moment mais j'hésitais parce que malheureusement, AAARG! le magazine a mis la clé sous la porte il y a un peu plus d'un mois et que parallèlement, cet ouvrage est épuisé... Et puis, je me suis dit que je devais - à ma manière - rendre hommage au travail de cette équipe qui a pondu dans la difficulté des magazines de choix.
"Atroce" est un recueil de 8 histoires courtes, dans la veine des "Tales from the Crypt" (ici et ) et autres "Vault of Horror" de chez EC Comics - mais avec l'esprit AAARG! en plus. Elles sont toutes scénarisées par Caritte, dont vous connaissez forcément le trait (oui, il est dessinateur aussi) si vous traînez vos guêtres dans le monde de la bd depuis un petit moment.

"Aile sud", la première histoire est illustrée par Khattou. Dans un long monologue, un assassin condamné à effectuer sa peine à perpétuité dans la terrible Eternal Prison, raconte son quotidien et les différentes rumeurs qui courent sur ce pénitencier très particulier. Il découvrira malgré lui que certaines de celles-ci sont malheureusement vraies et vont même au-delà de ce qui se murmure...

"Dors mon bébé" avec Mr Pek aux crayons, raconte l'histoire d'une jeune femme enceinte qui est victime d'un accident de voiture. Suite à cela, elle est contrainte d'accoucher prématurément, mais son enfant, un garçon, n'est pas considéré comme viable par la médecine. Il est donc débranché. Sa mère s'enfonce alors dans la folie...

Le troisième récit, "Les Frères Mac Terman"  est illustré par Jürg. Bill et Bob sont ce que l'on pourrait appeler des "Red Necks". Ils vivent seuls - depuis la mort de leurs parents - dans une ferme isolée. Ils n'ont pas inventé la poudre comme ils le disent eux-mêmes, mais surtout ils mangent n'importe quoi. Bill décide donc - suite à la lecture d'un livre de diététique - de désormais faire attention à leur nourriture, bien conscient que l'on est ce que l'on mange. Ils vont donc chercher à avaler la nourriture la plus saine qu'ils puissent trouver, et cela va légèrement dégénérer...

Dans "Les Fantômes de la liberté" dessiné par Rifo, nous suivons le périple d'un bateau passeur de migrants qui finira par s'échouer au fond de la mer avec toute "sa cargaison". Les victimes reviendront bientôt hanter les survivants et réclamer vengeance...

La cinquième histoire s'intitule "La Fièvre de l'Or" et est illustrée par Jürg. Le vieux Chuck est un chercheur d'or porté sur la bouteille. Il a passé sa vie à courir après le métal jaune avec une réussite plus ou moins importante. Alors qu'il est train de creuser dans sa mine, il tombe sur une sépulture amérindienne contenant des pots remplis d'or et de bijoux, qui se révèle être celle de son ami d'enfance Little Pony. Il se remémore alors cette époque joyeuse où il n'était esclave ni de l'or ni de l'alcool. Mais l'amitié est-elle plus importante que l'or ?

"Crise, Crasse, Crève", est dessinée par Khattou. On y suit la fuite en avant meurtrière d'un psychopathe jusqu'à son inéluctable conclusion...

Dans "Love is everywhere", illustrée par Mr Pek, un comptable d'une cinquantaine d'années décide un jour de fuir avec des valises pleines d'argent appartenant à son patron. Il est célibataire et sans attache et prend donc la route pour une vie meilleure. En chemin il prend en stop une ravissante jeune fille qui lui propose de passer la nuit dans la maison de sa famille qui est étrangement constituée que de jolies jeunes femmes. Il devient rapidement l'étalon de la maisonnée, passant son temps à forniquer et à boire un alcool très spécial. Ce qui aurait pu lui paraître une vie de rêve va finalement le lasser. Les ennuis vont commencer quand il va vouloir reprendre sa route...

Enfin, dans "Isnala Sungmanitu Thanka", avec Rifo aux crayons, deux amérindiens sont en route pour un fort de l'armée américaine. Ils viennent négocier leur reddition et ainsi mettre un terme à une terrible guerre. L'officier qui les reçoit ne l'entend pas de cette oreille et leur fait comprendre qu'il les exterminera jusqu'au dernier. Mal lui en prend...

En général avec ce genre de recueil, il y a à boire et à manger et on se retrouve avec un ouvrage assez hétérogène. Ici, à ma grande surprise, ce n'est pas le cas. À part peut-être "Crise, Crasse, Crève" que j'ai trouvé un chouïa en-dessous des autres récits. Pour ce qui est du reste, on a affaire à du très bon.
- "Aile sud" au traitement très classique est une très bonne entrée en matière. Le récit et sa chute sont vraiment dans l'esprit des EC Comics. Les dessins de Khattou sont très agréables à regarder et on sent qu'il aime dessiner de la tripaille à l'air. Cette histoire gore est une mise en bouche très réussie.
- "Dors mon bébé" est d'un ton beaucoup plus grave ce qui est tout à fait normal vu le thème qu'il traite. J'ai trouvé le récit très bien mené et très bien construit. On suit la chute dans la folie de la mère et tout cela est très bien retranscrit. Les dessins en noir et blanc de Mr Pek sont dans l'esprit de Charles Burns et collent parfaitement à  l'ambiance de folie mélancolique de l'histoire.
- "Les Frères Mac Terman" est une des histoires qui m'a le plus amusée. Le traitement et la chute sont complètement dans le ton des récits d'horreur d'antan, mais avec cette petite touche de bd underground en plus. Le trait de Jürg renforce complètement cette atmosphère tragicomique du meilleur effet. La chute, est également très bonne. Ce récit est à mon avis celui qui a le mieux synthétisé l'esprit EC et celui de AAARG!
- "Les Fantômes de la liberté" aborde la douloureuse - et ô combien d'actualité - question des migrants et de leurs passeurs. Le sujet y est très bien traité et les dessins servent à merveille le propos. Cette histoire d'horreur est d'une construction très classique (une histoire de vengeance d'outre-tombe) mais tire son épingle du jeu grâce à son contexte social.
- "La Fièvre de l'or" est à classer dans la même catégorie que "Les Frères Mac Terman". Nous retrouvons d'ailleurs aux crayons le talentueux Jürg. L'histoire est également très classique dans sa mise en place et dans sa chute, mais elle n'en est pas moins efficace. Le traitement graphique du récit, à rebrousse-poil de ce qui se fait habituellement (le présent est ici en noir et blanc et les souvenirs en couleurs) est une excellente idée et permet de montrer la déchéance du vieux Chuck.
- "Crise, Crasse, Crève" est donc le récit qui m'a le moins emballé. Je pense que l'idée de départ était assez bonne - suivre la fuite en avant d'un psychopathe - mais j'ai trouvé le traitement à la fois classique graphiquement et assez peu compréhensible au niveau de la narration. Après peut-être que cela était voulu pour essayer de retranscrire l'esprit plus que troublé du protagoniste. En tout cas, cela ne m'a pas convaincu, ce qui est d'autant plus dommage que le trait de Khattou est là aussi très plaisant (toujours avec ce côté gore).
- "Love is everywhere" revisite assez intelligemment le mythe des sirènes. Le dessin de Mr Pek associé aux couleurs presque pastelles permettent de bien retranscrire le côté quasiment onirique de l'histoire. La conclusion - bien qu'attendue - n'en est pas moins efficace. Une très bonne histoire également.
- "Isnala Sungmanitu Thanka", dernier récit de ce recueil en est - pour moi - le chef d'œuvre. Il peut paraître classique, à première vue (les indiens qui déposent les armes face aux Tuniques Bleues) même s'il est mâtiné d'une histoire de malédiction. Mais, l'auteur a eu la très bonne idée de reprendre des passages très touchants d'un discours du chef amérindien Seattle, ce qui apporte une touche de poésie au milieu de scènes de bataille et de massacres. Le contraste ainsi créé est saisissant et rythme parfaitement l'ensemble. De plus, les dessins de Rifo sont magnifiques (la mise en couleur délicate apporte également beaucoup) et servent à merveille ce petit bijou à l'atmosphère et au ton si particuliers. Du très grand art !

En conclusion, j'ai été à la fois agréablement surpris et étonné de la qualité de cet ouvrage. Surpris car il s'agit du premier ouvrage que j'achète chez eux. Étonné car je ne comprends pas pourquoi les milieux autorisés à parler de bande dessinées ne l'ont pas fait, tant "Atroce !" est de très bonne facture. Ce recueil se lit vraiment comme un bon vieux EC Comics (bien qu'il soit présenté comme un hommage aux films de série Z), avec plein d'ambiances, de thèmes et de traitements graphiques différents et intéressants. Même si faire de l'horreur (et tous ses dérivés) peut paraître facile au premier abord (un fantôme par-ci, une mare de sang par-là et un peu de zombie dans les coins), cela n'est absolument pas le cas - il n'y a qu'à voir le nombre de personnes qui ont essayé et qui ont eu des problèmes* - et toute l'équipe d'"Atroce !" y est néanmoins parvenu sans tomber dans les travers et autres facilités du genre. Je n'ai qu'un mot à dire : Bravo !

Note : 15/20


Atroce ! de Caritte, Rifo, Mr Pek & alii
AAARG! / Casbah / 2016
ISBN : 978-2370310507
76 p. / Épuisé

* Comme l'a dit Michel Audiard (humour)

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