mercredi 25 septembre 2013

Nouvelle : Toute la mystique que j'aime

Allez, Deuxième fournée de nouvelle. On continue avec une autre nouvelle, datant de 2005. Cette fois-ci, point de superhéros (quoi que pour certains compatriotes, la personne à l'origine de l'histoire en soit un), mais un troubadour messie ou un truc dans le genre. J'ai écrit cette histoire après avoir zappé sur un concert de la star et m'être fait la réflexion qu'il ne se ressemblait plus du tout. Je me suis alors dit qu'il avait été remplacé par un sosie, et que cela durait sûrement depuis très longtemps, vu qu'on nous cache tout et qu'on nous dit rien (même à propos de la machine à transpirer).
N'hésitez surtout pas à me faire remonter vos impressions et les fôtes d'orthogarphe encore présentes ! Bonne lecture !




La légende dit qu’Il n’est pas mort, mais qu’il a pris congé de la vie. Il s’est assoupi et s’est réveillé sous la forme d’un husky. Depuis, Il parcourt l’Ouest Lointain, le territoire de chasse des Ses ancêtres, en quête perpétuelle du raccourci spirituel.

La légende de Johnny


Je m’appelle Jean-Jean-Philippe Paimpol. Je suis né à Paris et vous me connaissez peut être mieux sous le nom de Johnny Bollyday.
Le jour de ma naissance un éléphant est mort. Depuis ce jour, je porte un pantalon pattes d’eph’ pour lui rendre hommage.

J’ai choisi mon nom de scène en hommage à Bollywood, dont j’adore les films. En plus, à notre époque, c’est un petit dur de trouver un nom de scène qui ne soit pas déjà pris.
Comme vous l’avez sans doute compris, je suis sosie de Johnny Hallyday.
Je ne dis pas sosie officiel, car cela n’existe plus. A une époque très reculée, quand Il était encore sur terre, les sosies officiels étaient aussi répandus que les fausses dents dans la bouche d’Antoine. Malheureusement, maintenant, cela n’est plus le cas. L’église johnny noyaute tout et tout le monde. Elle considère comme un blasphème le fait de vouloir ressembler à Johnny sans être Johnny régnant.
A ce titre, on peut dire que je ne suis rien.
Je ne suis rien, mais j’apporte du bonheur au petit peuple qui n’a pas le moyen de se payer les places hors de prix pour les concerts du Johnny.
Mes musiciens, mes choristes et moi, nous nous produisons dans les campagnes, les petites villes de province et tous les bleds pourris dans lesquels le Johnny ne se rend jamais.
Nous sommes hors-la-loi. Nous n’avons pas le droit de faire ce que nous faisons, puisque nous n’avons pas l’autorisation de Saint-Tropez. Mais nous le faisons quand même car nous considérons cela comme une mission de salut public.

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Au tout début, ça a été le chaos. Tout de suite après Sa mort, des millions de fans aux quatre coins de l’hexagone se sont retrouvés orphelins. Il avait été leur guide, leur lumière pendant près d’un siècle et sa disparition au cours de son quatorzième Paris-Dakar –  alors qu’il était à la recherche d’un raccourci que jamais il ne trouva – aussi tragique qu’inattendue ne leur avaient pas permis de s’y préparer. S’il avait agonisé pendant des mois sur son yacht ancré dans les mers du sud comme son grand ami Yvan-Chrysostome Dolto (Carlos) rongé par la maladie du poulpe, ses millions de fans auraient été préparé mentalement et psychologiquement.
Mais si cela avait été le cas, peut être que la saga se serait arrêtée à ce moment-là.
Nous sommes tous convaincus que cela aurait changé la face du monde.

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Dans les villes que nous visitons en tournée, il nous arrive très souvent de tomber nez à nez avec des officiels de l’église. En général, ils nous demandent de partir sans faire d’esclandres ni notre concert. Ceux de l’église officielle sont tellement sûrs de leur supériorité et de leur bonne foi, qu’ils nous laissent partir sans plus de problème.
Le plus embêtant, c’est quand nous rencontrons ceux de l’autre église. La non-officielle. Eux, ont encore moins de légitimité que nous, les sosies, mais cela ne les empêchent pas de se prendre pour des caïds. Avec eux, ils nous arrivent régulièrement d’en venir aux mains.

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Au début donc, était le chaos.
De toutes parts, des initiatives plus maladroites les unes que les autres virent le jour. Les sosies – que leurs noms et images soient maudits jusqu’à la fin des temps – essayèrent d’occuper le trône laissé vacant. Mais leur manque de talent criant lassèrent les millions de fans, qui les lapidèrent sur la place du village de Saint-Tropez, comme le veut la tradition.
Puis d’autres eurent l’idée d’une Star Academy entièrement dédiée à Johnny, dont celui qui en sortirait vainqueur aurait le droit de prétendre continuer d’écrire l’histoire de l’Idole.
L’idée n’était pas si mauvaise que cela, mais l’opinion publique – sans parler des fans – fut très secouée quant au choix final du jury. Johnny Blakyday – Noir c’est noir – fut ainsi déchu de son titre, et, furieux, parti fondé une entité concurrente, bien entendu non reconnue par l’église officielle. Il fut ainsi le premier antijohnny de l’histoire. Ses successeurs à la tête de cette secte sont moqués et raillés par l’entourage du Johnny, qui les a affublés du sobriquet d’antoine.

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Moi, je n’ai jamais eu envie de rentrer dans les ordres johnny. Lui, n’avait jamais fait ça. Il était Johnny depuis sa naissance. Il s’est construit tout seul, sans l’aide de personne. On ne lui a pas dicté ce qu’Il avait à faire. Il le savait. Il savait où Il allait et comment faire pour y parvenir.
Pour moi, c’est pareil.
J’ai toujours su que j’étais comme Lui. Que j’étais Lui, d’une certaine manière.
Tant pis si ces intégristes considèrent ça comme un blasphème, mais c’est la stricte vérité. Je me suis toujours senti Johnny, et je n’ai donc pas jugé nécessaire de suivre tout ce cursus à la con. Cette machine à fabriquer des ersatz insipides.
Moi, je me suis fait seul à la force du poignet. Comme mon père avant moi et son père avant lui et ainsi de suite depuis la nuit des temps.
Dans la famille, nous sommes sosie de père en fils depuis toujours. Nous sommes même fiers d’avoir compté dans nos rangs, la seule femme sosie de Johnny, mon arrière-arrière-arrière grand-mère. Une sacré bonne femme qui avait poussé le mimétisme si loin qu’elle s’était laissé pousser le bouc et avait même épousé une femme plus jeune qu’elle de trente cinq ans vers la fin de sa vie. Mais cela est une autre histoire.

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Puis, petit à petit les structures se mirent en place, jusqu’à prendre la forme que nous leur connaissons aujourd’hui.
Les johnny (sans majuscule) commencent leur éducation musicale dès l’âge de 14 ans avec des reprises de rockabilly et l’étude de la vie du Johnny originel.
Puis, s’ils sont déclarés assez talentueux et assez ressemblants, ils accèdent, trois ans plus tard, à la section yéyé où ils peaufinent leur déhanché malingre (les grosses cuisses sont éliminatoires) et contractent leur premier mariage.
Encore trois ans et ils passent en section twist (deux ans), mashed potatoes (un an), hippie (un an), psychédélique (trois ans), et enfin en section disco (un an). A l’issue de ces onze ans, ils doivent divorcer et obligatoirement avoir eu un enfant. Si ces deux règles ne sont pas respectées, ils sont exclus du cursus.
A partir de là, ils prêtent serment sur un livre de Tennessee Williams et retrouvent la vie civile, tout en continuant à méditer sur les textes de l’Idole. S’ils ont passé toutes ses épreuves, ils deviennent en général des officiants du culte, ou des professeurs au séminaire des johnnny ou encore des piliers de comptoirs, rouage très important pour la propagation de la bonne parole du Johnny originel.

A la mort du Johnny et si aucun Johnny naturel n’est apparu à la face du monde, ils se réunissent en conclave à Saint-Tropez, dans l’ancienne demeure d’Eddy Barclay et élisent le nouveau Johnny parmi eux.

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Ma mère en est persuadée. Mon père aussi. Moi également. Sans aucun doute possible, je suis un Johnny naturel. Malheureusement pour moi, je ne suis pas né dans la bonne famille. Les miens ont toujours été vus d’un mauvais œil par l’église, à cause de notre activité de sosie. Nous sommes comme un caillou dans la santiag du Johnny.
Vous pouvez être sûrs que si j’avais vu le jour dans une parfaite petite famille de johnny de banlieue ou même au Viêt-Nam, les émissaires du Johnny seraient venus à moi dans la demi-heure ayant suivi ma naissance, les bras chargés de cadeaux prestigieux : le disque d’or, un magnum de Retiens la nuit et une paire de lunettes.
Au lieu de cela, je n’ai eu qu’une Sophie la girafe et un pyjama vert.

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Est appelé Johnny naturel toute réincarnation du Johnny originel. Suivant la cosmogonie et les résultats de l’équipe de France de football, les johnny mystiques déterminent dans quel endroit du monde le Johnny naturel viendra à la vie (Belgique, Viêt-Nam, Monaco). Lorsqu’il atteint l’âge de quatorze ans, le Johnny naturel dépose le Johnny en place. Pour l’instant, cela n’est arrivé qu’une fois avec Johnny XXII.

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Une fois le nouveau Johnny élu ou révélé, il choisit son costume. Le costume du Johnny est le symbole de sa politique musicale, de son univers de scène. Le costume choisi ne peut être changé. Cela serait considéré comme un blasphème, puisque seul le Johnny originel – qui a vécu plusieurs vies de son vivant – pouvait changer de costumes de scène.
Le Johnny actuel, Johnny XXXIX a pour costume de scène, celui de la période Mad Max (Palais des Sports 1982).

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Le nouveau Johnny, une fois élu ou révélé, ne peut écrire lui-même ses chansons. Cela serait considéré comme un blasphème puisque le Johnny originel ne le faisait pas Lui-même. Des documents tendant à prouver le contraire (le livret du disque Johnny chante Hallyday) mais ceci ne sont pas considérés comme canons et ont été déclaré apocryphes par Johnny XV.
Le nouveau Johnny devra s’entourer des plus mauvais auteurs-compositeurs de son époque, ou à défaut, des moins chers, et ceci afin de sublimer leur travail de scribouillard par sa force d’interprétation hors du commun.

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Des rumeurs circulaient ces temps-ci, faisant état de la naissance d’un clone parfait de Johnny. Un ingénieur mexicain, aidé par une équipe sud-coréenne aurait réussi à extraire des fibres de la Sainte Serviette – dernière serviette utilisée par Johnny et imprégnée de sueur, conservée dans une cuve à l’abris de l’air et de la lumière et humidifiée juste ce qu’il faut pour que la sueur ne sèche pas, mais pas trop pour que l’eau ne la dissolve pas – des traces d’ADN. Mais le plus incroyable était, d’après les journalistes, qu’ils avaient mis au point une cuve permettant de faire grandir et vieillir à une vitesse anormalement élevée. Si bien que, n’étant officiellement né que depuis trois mois, le clone présenterait aujourd’hui tous les signes de maturité d’un Johnny – à savoir, l’envie irrépressible de se remarier et de faire le Paris-Dakar.

Si cela devait se révéler être exact, cela pourrait signifier la fin du monde tel que nous le connaissons.

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Je ne sais pas si je dois en être fier ou en avoir honte, mais je suis directement responsable de la chasse à l’homme dont sont victimes les johnny non officiels depuis presque un an maintenant.
J’étais en concert dans une petite ville de Normandie et tout se passait bien. J’avais enchaîné tous les plus grands tubes de Notre Idole sans aucun accroc. J’étais bon. Je le savais. Le public le savait et ils sentaient que quelque chose de mystique se tissait entre nous.
Le ciel était avec moi, les éléments étaient avec moi, je n’avais même jamais autant transpiré de ma vie. J’étais en train de connaître le nirvana, sur scène, entouré de mon public.

Après une demi-douzaine de rappels, je sentis qu’il était temps pour moi de prendre congé de la foule. J’allais regagner les coulisses et retrouver ma mère (qui est mon manager), lorsque je croisais son regard. Je savais ce qu’elle voulait. Je n’osais vraiment y croire. Le moment était venu. Ce moment que j’attendais depuis toujours.
Je fis demi-tour et descendis de la scène par le devant.
J’avais atteint la maturité nécessaire pour traverser la foule, comme Johnny au Parc des Princes (1989).
Ma mère me rejoignit dans la fosse et me jeta son blouson en cuir sur les épaules. Elle ne m’avait jamais laissé y toucher. Je le pris dans les mains et le soulevait au-dessus de ma tête.
Je pris une grande inspiration.
La traversée de la foule pouvait commencer.

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Johnny XXXIX voulait depuis longtemps mettre le holà en ce qui concernait les antoine, les johnny en free-lance, les sosies et autres johnny indépendants. Avec sa curie, dans son chalet de Gstaad, il planchait jour et nuit sur ce problème. Il voulait que son règne reste comme celui où tous les imposteurs, tous les manants, tous ceux qui salissaient la mémoire de Johnny, seraient éliminés une bonne fois pour toute.
Le cancer que représentaient tous ces mécréants, s’était propagé dans tous les organes sains de France, mais pas ailleurs. En Belgique ou en Suisse, voire même au Québec, l’église officielle régnait en maîtresse, sans partage.
Les johnny précédents avaient réussis à juguler ce problème dès le début, grâce à leurs liens privilégiés avec les présidents français qui leur avaient fournis, année après année, les dossiers des fuites fiscales des johnny indépendants.

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Tous les johnny, au moment où leur vie atteint l’âge de 60 ans, se doit d’avoir réalisé plusieurs choses : cinq mariages et quatre divorces, deux enfants légitimes et un adopté, une participation – au moins – au Paris-Dakar. Mais la chose qui fera d’eux un des plus grands johnny de leur génération, c’est la fuite fiscale. Beaucoup l’entreprennent, mais peu en sortent gagnants.
Certains, suivent à la lettre ce qu’a fait Johnny : c’est la méthode canon. Déménagement en Suisse, demande de naturalisation en Belgique (sur l’appui de quelques preuves branlantes expliquant que leur beau-père vivait Outre-quiévrain) et enfin, résidence à Monaco, pour payer moins d’impôts.
D’autres, préfèrent imaginer leur propre combine, arguant que Johnny n’a eu besoin de personne pour imaginer ce plan.
Les hauts dignitaires de l’église n’ont aucun problème pour leur fuite fiscale, s’ils suivent la méthode canon, grâce aux appuis qu’ils ont à la Présidence.
Mon grand-père l’a tenté et bien sûr, a été rattrapé par les policiers.

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La foule était en délire. Les femmes me regardaient avec envie, les hommes avec respect, les enfants avec des étoiles dans les yeux et les vieux avec leurs lunettes.
Le premier mètre fût le plus dur et me parût le plus long. Mais une fois en route, tout se passa très vite. Des bikers se mirent à mes côtés pour faire le service d’ordre et éviter tout débordement.
Je saluais les gens, embrassaient les enfants qu’ils me tendaient en leur disant la phrase rituelle : Que je t’aime. La foule me répondait à l’unisson par la même formule.
Nous étions en communion. Si je n’avais pas encore tant de temps à vivre – un johnny parfait ne doit pas trépasser plus jeune ou plus vieux que Johnny – j’aurais pu mourir heureux.
Mais, alors que le public se faisait un peu plus clairsemé, un homme d’une trentaine d’année, surgit et se jeta sur moi. Avant que mes gardes du corps n’aient eu le temps de réagir, il avait réussis à me poignarder deux fois, heureusement sans gravité. La premier coup n’avait fait qu’effleurer mon épaule nue – heureusement pour moi, le blouson de ma mère n’avait pas été atteint, auquel cas, elle m’aura sans aucun doute tuer de ses propres mains – et le second n’avait fait qu’une estafilade sur ma cuisse gauche.
Il fût maîtriser et passer à tabac par les bikers.
Malheureusement pour moi, il s’agissait d’un johnny venant de finir son séminaire, et sa bastonnade n’allait pas rester impunie, car il avait le bras long.

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Dès que Johnny XXXIX eût vent de ce qui venait se passer, il jubila. Il tenait enfin sa victoire sur les faux johnny.
L’agression contre son disciple lui servait sur un plateau d’argent la preuve qu’il attendait depuis des années : les faux johnny et leurs adeptes étaient ultraviolents et pervertissaient la parole d’amour de Johnny.
L’une des catéchèses était la suivante : quand Il chantait : « les coups, quand ils vous arrivent, oh oui, oh ça fait mal », il fallait comprendre les coups du sorts, les divorces, les ruptures etc.…. Et ceux-ci, ne servaient qu’à nous rendre plus fort. Il ne fallait en aucun prendre au pied de la lettre ces paroles divines, comme le faisaient les faux johnny.
Il allait réaliser dans le même temps la Grande Migration – le retour en France – car le président, en plus de promulguer le texte rendant hors-la-loi tous les johnny n’appartenant pas à l’église, il avait enfin accédé à la requête faite par les Johnny depuis des générations : la baisse d’impôts.
C’était une grande année pour eux et une annus horibilis pour nous autres.

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Ma mère vint me voir à l’hôpital où j’avais été amené après l’agression. Je devais y rester en observation pendant deux jours. Elle paraissait paniquée.
Elle m’expliqua qu’elle avait vu le journal télévisé et que Johnny XXXIX, en toute légalité, appelait à la croisade contre les faux johnny. Il était soutenu par le nouveau président de la république, qui avait, dans la journée, proclamée le johnnisme religion d’Etat. Il était même question, selon certains politologues et spécialistes des religions, que la Grande Migration ait lieu d’ici à la fin de l’année.
Elle était effondrée – on le serait à moins – et n’arrêtait pas de pleurer.
De mon côté, j’étais totalement abasourdi.
C’était la fin du monde tel que nous l’avions toujours connu.

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Dans les semaines qui suivirent, les arrestations et les rafles parmi les sosies, les antoine et les indépendants se multiplièrent. Jusqu’à présent, ma famille et mes amis étaient miraculeusement passés à travers les mailles du filet, mais cela ne saurait durer éternellement.
Je continuais malgré tout à faire mes concerts. Mais ceux-ci, au lieu de se dérouler sur des parkings de supermarchés ou des places de villages, se passaient dans des caves, voire dans les bois. Le public était plus restreint, mais plus connaisseurs aussi. Ils me demandaient des chansons que je n’avais guère eu l’occasion de chanter depuis longtemps, si ce n’est pour ma famille.
Mais je concluais toujours mon tour de chant par ma marque de fabrique : Quoi ma gueule ?
Je savais que chaque concert pouvait être le dernier, que je pouvais à tout moment voir débarquer les forces de l’ordre et les fanatiques du johnny du coin. Mais cela m’importait peu. Comme Johnny, je me moquais de la politique et de la loi. Mon seul maître était la musique, ma seule loi l’amour du public. Rien ne pourrait me stopper. Jamais.

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Bien sûr, ce qui devait arriver arriva. Un soir, alors que je venais à peine d’entamer Gabrielle pour faire plaisir à la femme de l’organisateur du concert, dont c’était l’anniversaire, les johnny, épaulés par la police, firent leur apparition dans la cave.
Ils arrêtèrent tout le monde. Personne n’en réchappa.
Bien sûr, les spectateurs en furent quittes pour une grosse amende et petite réprimande. De plus, ils devaient se rendre, dès le lendemain à l’église locale pour confesser tous leurs pêchés.
L’organisateur fût envoyé dans un camp de rejohnnisation, dans le sud de la France, afin d’y subir un lavage de cerveau.
Mes parents et moi, après un interrogatoire musclé au cours de notre garde à vue, fûmes envoyés en prison. En raison de leur grand âge, mes parents ne prirent que deux ans fermes et furent libérés pour bonne conduite au bout de huit mois.
Moi, grâce, ou à cause de mon pedigree, j’écopais de trente ans.
Au cours de mon procès, à l’annonce du verdict, je criais que si ma peine était si lourde et disproportionnée, c’était que Johnny XXXIX savait très bien qu’il n’était qu’un imposteur et que je devais être à sa place.
Ma petite tirade me permit d’avoir droit à un traitement de faveur par un maton qui venait d’être recalé à la sortie du séminaire pour avoir refuser de divorcer de sa première femme.

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Aujourd’hui, les poches de résistances des sosies et des antoine sont de plus en plus minces. La plupart se trouvent dans le maquis corse, regroupées sous la férule de Johnny Paoli. Des escarmouches – des concerts sauvages – ont lieu assez régulièrement et des attentats – des disques de sosies vocaux – sont commis assez souvent, surtout contre des musiques d’ambiances des banques, des postes et des trésors publics de la péninsule.
Cela durera encore longtemps. Il ne faut pas être Johnny pour le savoir.

Bizarrement, cela me parait maintenant bien loin.
Je suis en prison depuis presque dix ans, et j’espère sortir d’ici à deux ans, grâce à ma bonne conduite, le jeu des remises de peines et à ma nouvelle religion.
A la mort de mes parents – bien avant l’âge de Johnny – j’ai perdu la foi. J’ai compris que si Johnny laissait faire l’église officielle, c’était que celle-ci était dans le vrai. Et si cela était le cas, je ne pouvais plus croire en lui.
Un de mes codétenus me fit alors découvrir une nouvelle religion.
Elle était déjà très bien implantée aux Etats-Unis, mais était encore balbutiante en France. Il espérait bien, une fois sorti d’ici, coordonné les mouvements épars et les fédérer en une seule église, qui sera à même de combattre la suprématie de celle de Johnny.
Il me fit découvrir les paroles de ce dieu. Je connaissais déjà un petit peu sa vie, car les johnny le considèrent non pas comme un dieu, mais comme un simple messie ayant précédé de peu Johnny.
Pour mon codétenu et ses coreligionnaires, Johnny n’est qu’un imposteur et un plagiat. Mais heureusement, sa religion est tolérée par les johnny, car ses adeptes font de très bonnes premières parties. Et grâce à cela, j’espère réussir à gagner quelques années en me faisant passer pour une victime de persécution religieuse. Qui ne tente rien n’a rien.

Au bout de deux semaines, mon codétenu déclarait que j’étais fait pour être le chef de son église et dès lors, il s’en remit entièrement à moi. Je chantais le blues mieux que lui, et sans doute mieux que quiconque au monde. Je le savais.
Je le sentais.
Je m’étais fourvoyé sur la mauvaise voie.
J’avais suivi l’enseignement de la mauvaise foi.
Dès les premières paroles de Jailhouse Blues, je me sentis transcendé par l’esprit de la musique : le Blues. Toute la musique que j’aime, elle vient de là, elle vient du blues. En plus, l’univers carcéral renforçait encore plus l’atmosphère de la chanson.

Je me suis donc converti à l’Elvisme.

Je m’appelle Jean-Jean-Philippe Paimpol. Je suis né à Paris et vous me connaîtrez bientôt mieux sous le nom d’Elvis Bombay.

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