Allez, Deuxième fournée de nouvelle. On continue avec une autre nouvelle, datant de 2005. Cette fois-ci, point de superhéros (quoi que pour certains compatriotes, la personne à l'origine de l'histoire en soit un), mais un troubadour messie ou un truc dans le genre. J'ai écrit cette histoire après avoir zappé sur un concert de la star et m'être fait la réflexion qu'il ne se ressemblait plus du tout. Je me suis alors dit qu'il avait été remplacé par un sosie, et que cela durait sûrement depuis très longtemps, vu qu'on nous cache tout et qu'on nous dit rien (même à propos de la machine à transpirer).
N'hésitez surtout pas à me
faire remonter vos impressions et les fôtes d'orthogarphe encore
présentes ! Bonne lecture !
La légende dit qu’Il n’est pas mort, mais
qu’il a pris congé de la vie. Il s’est assoupi et s’est réveillé sous la forme
d’un husky. Depuis, Il parcourt l’Ouest Lointain, le territoire de chasse des
Ses ancêtres, en quête perpétuelle du raccourci spirituel.
La légende de Johnny
Je m’appelle Jean-Jean-Philippe
Paimpol. Je suis né à Paris et vous me connaissez peut être mieux sous le nom
de Johnny Bollyday.
Le jour de ma naissance un
éléphant est mort. Depuis ce jour, je porte un pantalon pattes d’eph’ pour lui
rendre hommage.
J’ai choisi mon nom de scène en
hommage à Bollywood, dont j’adore les films. En plus, à notre époque, c’est un
petit dur de trouver un nom de scène qui ne soit pas déjà pris.
Comme vous l’avez sans doute
compris, je suis sosie de Johnny Hallyday.
Je ne dis pas sosie officiel, car
cela n’existe plus. A une époque très reculée, quand Il était encore sur terre,
les sosies officiels étaient aussi répandus que les fausses dents dans la
bouche d’Antoine. Malheureusement, maintenant, cela n’est plus le cas. L’église
johnny noyaute tout et tout le monde. Elle considère comme un blasphème le fait
de vouloir ressembler à Johnny sans être Johnny régnant.
A ce titre, on peut dire que je
ne suis rien.
Je ne suis rien, mais j’apporte
du bonheur au petit peuple qui n’a pas le moyen de se payer les places hors de
prix pour les concerts du Johnny.
Mes musiciens, mes choristes et
moi, nous nous produisons dans les campagnes, les petites villes de province et
tous les bleds pourris dans lesquels le Johnny ne se rend jamais.
Nous sommes hors-la-loi. Nous
n’avons pas le droit de faire ce que nous faisons, puisque nous n’avons pas
l’autorisation de Saint-Tropez. Mais nous le faisons quand même car nous
considérons cela comme une mission de salut public.
*
**
Au tout début, ça a été le chaos.
Tout de suite après Sa mort, des millions de fans aux quatre coins de
l’hexagone se sont retrouvés orphelins. Il avait été leur guide, leur lumière
pendant près d’un siècle et sa disparition au cours de son quatorzième
Paris-Dakar – alors qu’il était à la
recherche d’un raccourci que jamais il ne trouva – aussi tragique qu’inattendue
ne leur avaient pas permis de s’y préparer. S’il avait agonisé pendant des mois
sur son yacht ancré dans les mers du sud comme son grand ami Yvan-Chrysostome
Dolto (Carlos) rongé par la maladie du poulpe, ses millions de fans auraient
été préparé mentalement et psychologiquement.
Mais si cela avait été le cas,
peut être que la saga se serait arrêtée à ce moment-là.
Nous sommes tous convaincus que
cela aurait changé la face du monde.
*
**
Dans les villes que nous visitons
en tournée, il nous arrive très souvent de tomber nez à nez avec des officiels
de l’église. En général, ils nous demandent de partir sans faire d’esclandres
ni notre concert. Ceux de l’église officielle sont tellement sûrs de leur
supériorité et de leur bonne foi, qu’ils nous laissent partir sans plus de
problème.
Le plus embêtant, c’est quand
nous rencontrons ceux de l’autre église. La non-officielle. Eux, ont encore
moins de légitimité que nous, les sosies, mais cela ne les empêchent pas de se
prendre pour des caïds. Avec eux, ils nous arrivent régulièrement d’en venir
aux mains.
*
**
Au début donc, était le chaos.
De toutes parts, des initiatives
plus maladroites les unes que les autres virent le jour. Les sosies – que leurs
noms et images soient maudits jusqu’à la fin des temps – essayèrent d’occuper
le trône laissé vacant. Mais leur manque de talent criant lassèrent les
millions de fans, qui les lapidèrent sur la place du village de Saint-Tropez,
comme le veut la tradition.
Puis d’autres eurent l’idée d’une
Star Academy entièrement dédiée à Johnny, dont celui qui en sortirait vainqueur
aurait le droit de prétendre continuer d’écrire l’histoire de l’Idole.
L’idée n’était pas si mauvaise
que cela, mais l’opinion publique – sans parler des fans – fut très secouée
quant au choix final du jury. Johnny Blakyday – Noir c’est noir – fut ainsi
déchu de son titre, et, furieux, parti fondé une entité concurrente, bien
entendu non reconnue par l’église officielle. Il fut ainsi le premier
antijohnny de l’histoire. Ses successeurs à la tête de cette secte sont moqués
et raillés par l’entourage du Johnny, qui les a affublés du sobriquet d’antoine.
*
**
Moi, je n’ai jamais eu envie de
rentrer dans les ordres johnny. Lui, n’avait jamais fait ça. Il était
Johnny depuis sa naissance. Il s’est construit tout seul, sans l’aide de
personne. On ne lui a pas dicté ce qu’Il avait à faire. Il le savait. Il savait
où Il allait et comment faire pour y parvenir.
Pour moi, c’est pareil.
J’ai toujours su que j’étais
comme Lui. Que j’étais Lui, d’une certaine manière.
Tant pis si ces intégristes
considèrent ça comme un blasphème, mais c’est la stricte vérité. Je me suis toujours
senti Johnny, et je n’ai donc pas jugé nécessaire de suivre tout ce cursus à la
con. Cette machine à fabriquer des ersatz insipides.
Moi, je me suis fait seul à la
force du poignet. Comme mon père avant moi et son père avant lui et ainsi de
suite depuis la nuit des temps.
Dans la famille, nous sommes
sosie de père en fils depuis toujours. Nous sommes même fiers d’avoir compté
dans nos rangs, la seule femme sosie de Johnny, mon arrière-arrière-arrière
grand-mère. Une sacré bonne femme qui avait poussé le mimétisme si loin qu’elle
s’était laissé pousser le bouc et avait même épousé une femme plus jeune
qu’elle de trente cinq ans vers la fin de sa vie. Mais cela est une autre
histoire.
*
**
Puis, petit à petit les
structures se mirent en place, jusqu’à prendre la forme que nous leur
connaissons aujourd’hui.
Les johnny (sans majuscule)
commencent leur éducation musicale dès l’âge de 14 ans avec des reprises de
rockabilly et l’étude de la vie du Johnny originel.
Puis, s’ils sont déclarés assez
talentueux et assez ressemblants, ils accèdent, trois ans plus tard, à la
section yéyé où ils peaufinent leur déhanché malingre (les grosses cuisses sont
éliminatoires) et contractent leur premier mariage.
Encore trois ans et ils passent
en section twist (deux ans), mashed potatoes (un an), hippie (un an),
psychédélique (trois ans), et enfin en section disco (un an). A l’issue de ces
onze ans, ils doivent divorcer et obligatoirement avoir eu un enfant. Si ces
deux règles ne sont pas respectées, ils sont exclus du cursus.
A partir de là, ils prêtent
serment sur un livre de Tennessee Williams et retrouvent la vie civile, tout en
continuant à méditer sur les textes de l’Idole. S’ils ont passé toutes ses
épreuves, ils deviennent en général des officiants du culte, ou des professeurs
au séminaire des johnnny ou encore des piliers de comptoirs, rouage très
important pour la propagation de la bonne parole du Johnny originel.
A la mort du Johnny et si aucun
Johnny naturel n’est apparu à la face du monde, ils se réunissent en conclave à
Saint-Tropez, dans l’ancienne demeure d’Eddy Barclay et élisent le nouveau
Johnny parmi eux.
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Ma mère en est persuadée. Mon
père aussi. Moi également. Sans aucun doute possible, je suis un Johnny
naturel. Malheureusement pour moi, je ne suis pas né dans la bonne famille. Les
miens ont toujours été vus d’un mauvais œil par l’église, à cause de notre
activité de sosie. Nous sommes comme un caillou dans la santiag du Johnny.
Vous pouvez être sûrs que si
j’avais vu le jour dans une parfaite petite famille de johnny de banlieue ou
même au Viêt-Nam, les émissaires du Johnny seraient venus à moi dans la
demi-heure ayant suivi ma naissance, les bras chargés de cadeaux
prestigieux : le disque d’or, un magnum de Retiens la nuit et une paire de
lunettes.
Au lieu de cela, je n’ai eu
qu’une Sophie la girafe et un pyjama vert.
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Est appelé Johnny naturel toute
réincarnation du Johnny originel. Suivant la cosmogonie et les résultats de
l’équipe de France de football, les johnny mystiques déterminent dans quel
endroit du monde le Johnny naturel viendra à la vie (Belgique, Viêt-Nam,
Monaco). Lorsqu’il atteint l’âge de quatorze ans, le Johnny naturel dépose le
Johnny en place. Pour l’instant, cela n’est arrivé qu’une fois avec Johnny
XXII.
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Une fois le nouveau Johnny élu ou
révélé, il choisit son costume. Le costume du Johnny est le symbole de sa
politique musicale, de son univers de scène. Le costume choisi ne peut être
changé. Cela serait considéré comme un blasphème, puisque seul le Johnny
originel – qui a vécu plusieurs vies de son vivant – pouvait changer de
costumes de scène.
Le Johnny actuel, Johnny XXXIX a
pour costume de scène, celui de la période Mad Max (Palais des Sports 1982).
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Le nouveau Johnny, une fois élu
ou révélé, ne peut écrire lui-même ses chansons. Cela serait considéré comme un
blasphème puisque le Johnny originel ne le faisait pas Lui-même. Des documents
tendant à prouver le contraire (le livret du disque Johnny chante Hallyday)
mais ceci ne sont pas considérés comme canons et ont été déclaré apocryphes par
Johnny XV.
Le nouveau Johnny devra
s’entourer des plus mauvais auteurs-compositeurs de son époque, ou à défaut,
des moins chers, et ceci afin de sublimer leur travail de scribouillard par sa
force d’interprétation hors du commun.
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Des rumeurs circulaient ces
temps-ci, faisant état de la naissance d’un clone parfait de Johnny. Un
ingénieur mexicain, aidé par une équipe sud-coréenne aurait réussi à extraire
des fibres de la Sainte Serviette
– dernière serviette utilisée par Johnny et imprégnée de sueur, conservée dans
une cuve à l’abris de l’air et de la lumière et humidifiée juste ce qu’il faut
pour que la sueur ne sèche pas, mais pas trop pour que l’eau ne la dissolve pas
– des traces d’ADN. Mais le plus incroyable était, d’après les journalistes,
qu’ils avaient mis au point une cuve permettant de faire grandir et vieillir à
une vitesse anormalement élevée. Si bien que, n’étant officiellement né que
depuis trois mois, le clone présenterait aujourd’hui tous les signes de
maturité d’un Johnny – à savoir, l’envie irrépressible de se remarier et de
faire le Paris-Dakar.
Si cela devait se révéler être
exact, cela pourrait signifier la fin du monde tel que nous le connaissons.
*
**
Je ne sais pas si je dois en être
fier ou en avoir honte, mais je suis directement responsable de la chasse à
l’homme dont sont victimes les johnny non officiels depuis presque un an
maintenant.
J’étais en concert dans une
petite ville de Normandie et tout se passait bien. J’avais enchaîné tous les
plus grands tubes de Notre Idole sans aucun accroc. J’étais bon. Je le savais.
Le public le savait et ils sentaient que quelque chose de mystique se tissait
entre nous.
Le ciel était avec moi, les
éléments étaient avec moi, je n’avais même jamais autant transpiré de ma vie.
J’étais en train de connaître le nirvana, sur scène, entouré de mon public.
Après une demi-douzaine de
rappels, je sentis qu’il était temps pour moi de prendre congé de la foule.
J’allais regagner les coulisses et retrouver ma mère (qui est mon manager),
lorsque je croisais son regard. Je savais ce qu’elle voulait. Je n’osais
vraiment y croire. Le moment était venu. Ce moment que j’attendais depuis
toujours.
Je fis demi-tour et descendis de
la scène par le devant.
J’avais atteint la maturité
nécessaire pour traverser la foule, comme Johnny au Parc des Princes (1989).
Ma mère me rejoignit dans la
fosse et me jeta son blouson en cuir sur les épaules. Elle ne m’avait jamais
laissé y toucher. Je le pris dans les mains et le soulevait au-dessus de ma
tête.
Je pris une grande inspiration.
La traversée de la foule pouvait
commencer.
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Johnny XXXIX voulait depuis
longtemps mettre le holà en ce qui concernait les antoine, les johnny en
free-lance, les sosies et autres johnny indépendants. Avec sa curie, dans son
chalet de Gstaad, il planchait jour et nuit sur ce problème. Il voulait que son
règne reste comme celui où tous les imposteurs, tous les manants, tous ceux qui
salissaient la mémoire de Johnny, seraient éliminés une bonne fois pour toute.
Le cancer que représentaient tous
ces mécréants, s’était propagé dans tous les organes sains de France, mais pas
ailleurs. En Belgique ou en Suisse, voire même au Québec, l’église officielle
régnait en maîtresse, sans partage.
Les johnny précédents avaient
réussis à juguler ce problème dès le début, grâce à leurs liens privilégiés
avec les présidents français qui leur avaient fournis, année après année, les
dossiers des fuites fiscales des johnny indépendants.
*
**
Tous les johnny, au moment où
leur vie atteint l’âge de 60 ans, se doit d’avoir réalisé plusieurs
choses : cinq mariages et quatre divorces, deux enfants légitimes et un
adopté, une participation – au moins – au Paris-Dakar. Mais la chose qui fera
d’eux un des plus grands johnny de leur génération, c’est la fuite fiscale.
Beaucoup l’entreprennent, mais peu en sortent gagnants.
Certains, suivent à la lettre ce
qu’a fait Johnny : c’est la méthode canon. Déménagement en Suisse, demande
de naturalisation en Belgique (sur l’appui de quelques preuves branlantes
expliquant que leur beau-père vivait Outre-quiévrain) et enfin, résidence à
Monaco, pour payer moins d’impôts.
D’autres, préfèrent imaginer leur
propre combine, arguant que Johnny n’a eu besoin de personne pour imaginer ce
plan.
Les hauts dignitaires de l’église
n’ont aucun problème pour leur fuite fiscale, s’ils suivent la méthode canon,
grâce aux appuis qu’ils ont à la Présidence.
Mon grand-père l’a tenté et bien
sûr, a été rattrapé par les policiers.
*
**
La foule était en délire. Les femmes
me regardaient avec envie, les hommes avec respect, les enfants avec des
étoiles dans les yeux et les vieux avec leurs lunettes.
Le premier mètre fût le plus dur
et me parût le plus long. Mais une fois en route, tout se passa très vite. Des
bikers se mirent à mes côtés pour faire le service d’ordre et éviter tout
débordement.
Je saluais les gens, embrassaient
les enfants qu’ils me tendaient en leur disant la phrase rituelle : Que je
t’aime. La foule me répondait à l’unisson par la même formule.
Nous étions en communion. Si je
n’avais pas encore tant de temps à vivre – un johnny parfait ne doit pas
trépasser plus jeune ou plus vieux que Johnny – j’aurais pu mourir heureux.
Mais, alors que le public se
faisait un peu plus clairsemé, un homme d’une trentaine d’année, surgit et se
jeta sur moi. Avant que mes gardes du corps n’aient eu le temps de réagir, il
avait réussis à me poignarder deux fois, heureusement sans gravité. La premier
coup n’avait fait qu’effleurer mon épaule nue – heureusement pour moi, le blouson
de ma mère n’avait pas été atteint, auquel cas, elle m’aura sans aucun doute
tuer de ses propres mains – et le second n’avait fait qu’une estafilade sur ma
cuisse gauche.
Il fût maîtriser et passer à
tabac par les bikers.
Malheureusement pour moi, il
s’agissait d’un johnny venant de finir son séminaire, et sa bastonnade n’allait
pas rester impunie, car il avait le bras long.
*
**
Dès que Johnny XXXIX eût vent de
ce qui venait se passer, il jubila. Il tenait enfin sa victoire sur les faux
johnny.
L’agression contre son disciple
lui servait sur un plateau d’argent la preuve qu’il attendait depuis des
années : les faux johnny et leurs adeptes étaient ultraviolents et
pervertissaient la parole d’amour de Johnny.
L’une des catéchèses était la
suivante : quand Il chantait : « les coups, quand ils vous
arrivent, oh oui, oh ça fait mal », il fallait comprendre les coups du
sorts, les divorces, les ruptures etc.…. Et ceux-ci, ne servaient qu’à nous
rendre plus fort. Il ne fallait en aucun prendre au pied de la lettre ces
paroles divines, comme le faisaient les faux johnny.
Il allait réaliser dans le même
temps la Grande Migration – le retour en France – car le président, en plus de
promulguer le texte rendant hors-la-loi tous les johnny n’appartenant pas à l’église,
il avait enfin accédé à la requête faite par les Johnny depuis des
générations : la baisse d’impôts.
C’était une grande année pour eux
et une annus horibilis pour nous autres.
*
**
Ma mère vint me voir à l’hôpital
où j’avais été amené après l’agression. Je devais y rester en observation
pendant deux jours. Elle paraissait paniquée.
Elle m’expliqua qu’elle avait vu
le journal télévisé et que Johnny XXXIX, en toute légalité, appelait à la
croisade contre les faux johnny. Il était soutenu par le nouveau président de
la république, qui avait, dans la journée, proclamée le johnnisme religion
d’Etat. Il était même question, selon certains politologues et spécialistes des
religions, que la Grande Migration ait lieu d’ici à la fin de l’année.
Elle était effondrée – on le
serait à moins – et n’arrêtait pas de pleurer.
De mon côté, j’étais totalement
abasourdi.
C’était la fin du monde tel que
nous l’avions toujours connu.
*
**
Dans les semaines qui suivirent,
les arrestations et les rafles parmi les sosies, les antoine et les
indépendants se multiplièrent. Jusqu’à présent, ma famille et mes amis étaient
miraculeusement passés à travers les mailles du filet, mais cela ne saurait
durer éternellement.
Je continuais malgré tout à faire
mes concerts. Mais ceux-ci, au lieu de se dérouler sur des parkings de
supermarchés ou des places de villages, se passaient dans des caves, voire dans
les bois. Le public était plus restreint, mais plus connaisseurs aussi. Ils me
demandaient des chansons que je n’avais guère eu l’occasion de chanter depuis
longtemps, si ce n’est pour ma famille.
Mais je concluais toujours mon
tour de chant par ma marque de fabrique : Quoi ma gueule ?
Je savais que chaque concert
pouvait être le dernier, que je pouvais à tout moment voir débarquer les forces
de l’ordre et les fanatiques du johnny du coin. Mais cela m’importait peu.
Comme Johnny, je me moquais de la politique et de la loi. Mon seul maître était
la musique, ma seule loi l’amour du public. Rien ne pourrait me stopper.
Jamais.
*
**
Bien sûr, ce qui devait arriver
arriva. Un soir, alors que je venais à peine d’entamer Gabrielle pour faire
plaisir à la femme de l’organisateur du concert, dont c’était l’anniversaire,
les johnny, épaulés par la police, firent leur apparition dans la cave.
Ils arrêtèrent tout le monde.
Personne n’en réchappa.
Bien sûr, les spectateurs en
furent quittes pour une grosse amende et petite réprimande. De plus, ils
devaient se rendre, dès le lendemain à l’église locale pour confesser tous
leurs pêchés.
L’organisateur fût envoyé dans un
camp de rejohnnisation, dans le sud de la France, afin d’y subir un lavage de
cerveau.
Mes parents et moi, après un
interrogatoire musclé au cours de notre garde à vue, fûmes envoyés en prison.
En raison de leur grand âge, mes parents ne prirent que deux ans fermes et
furent libérés pour bonne conduite au bout de huit mois.
Moi, grâce, ou à cause de mon
pedigree, j’écopais de trente ans.
Au cours de mon procès, à
l’annonce du verdict, je criais que si ma peine était si lourde et disproportionnée,
c’était que Johnny XXXIX savait très bien qu’il n’était qu’un imposteur et que
je devais être à sa place.
Ma petite tirade me permit
d’avoir droit à un traitement de faveur par un maton qui venait d’être recalé à
la sortie du séminaire pour avoir refuser de divorcer de sa première femme.
*
**
Aujourd’hui, les poches de
résistances des sosies et des antoine sont de plus en plus minces. La plupart
se trouvent dans le maquis corse, regroupées sous la férule de Johnny Paoli.
Des escarmouches – des concerts sauvages – ont lieu assez régulièrement et des
attentats – des disques de sosies vocaux – sont commis assez souvent, surtout
contre des musiques d’ambiances des banques, des postes et des trésors publics
de la péninsule.
Cela durera encore longtemps. Il
ne faut pas être Johnny pour le savoir.
Bizarrement, cela me parait
maintenant bien loin.
Je suis en prison depuis presque
dix ans, et j’espère sortir d’ici à deux ans, grâce à ma bonne conduite, le jeu
des remises de peines et à ma nouvelle religion.
A la mort de mes parents – bien
avant l’âge de Johnny – j’ai perdu la foi. J’ai compris que si Johnny laissait
faire l’église officielle, c’était que celle-ci était dans le vrai. Et si cela
était le cas, je ne pouvais plus croire en lui.
Un de mes codétenus me fit alors
découvrir une nouvelle religion.
Elle était déjà très bien
implantée aux Etats-Unis, mais était encore balbutiante en France. Il espérait
bien, une fois sorti d’ici, coordonné les mouvements épars et les fédérer en
une seule église, qui sera à même de combattre la suprématie de celle de
Johnny.
Il me fit découvrir les paroles
de ce dieu. Je connaissais déjà un petit peu sa vie, car les johnny le
considèrent non pas comme un dieu, mais comme un simple messie ayant précédé de
peu Johnny.
Pour mon codétenu et ses
coreligionnaires, Johnny n’est qu’un imposteur et un plagiat. Mais
heureusement, sa religion est tolérée par les johnny, car ses adeptes font de
très bonnes premières parties. Et grâce à cela, j’espère réussir à gagner
quelques années en me faisant passer pour une victime de persécution
religieuse. Qui ne tente rien n’a rien.
Au bout de deux semaines, mon
codétenu déclarait que j’étais fait pour être le chef de son église et dès
lors, il s’en remit entièrement à moi. Je chantais le blues mieux que lui, et
sans doute mieux que quiconque au monde. Je le savais.
Je le sentais.
Je m’étais fourvoyé sur la
mauvaise voie.
J’avais suivi l’enseignement de
la mauvaise foi.
Dès les premières paroles de
Jailhouse Blues, je me sentis transcendé par l’esprit de la musique : le
Blues. Toute la musique que j’aime, elle vient de là, elle vient du blues. En
plus, l’univers carcéral renforçait encore plus l’atmosphère de la chanson.
Je me suis donc converti à
l’Elvisme.
Je m’appelle Jean-Jean-Philippe Paimpol.
Je suis né à Paris et vous me connaîtrez bientôt mieux sous le nom d’Elvis
Bombay.
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